Dans mes peintures, rien n’est tout à fait solide. L’espace y est flottant, fait d’interférences et de chevauchements de champs colorés, de limites qui s’additionnent et s’entrecroisent. Il résulte de la rencontre de systèmes de représentation distincts : deux motifs qui répondent à des principes formels différents : planéité et profondeur ; abstraction et figuration ; géométrie et gestualité ; inertie et mouvement… Les deux motifs sont composés séparément, puis reproduits sur la toile, où ils sont littéralement peints l’un sur l’autre.
J’aborde la mise en œuvre du tableau sans idée préconçue du résultat. Je ne cherche pas l’opposition franche, le choc visuel. De la dualité initiale naît un arrangement composite dont il est impossible de prévoir le degré de confusion ou d’hybridation. Mon approche repose sur l’expérimentation : il s’agit de mettre en présence deux images dans l’espace fini de la toile, et d’observer les accords, les écarts, les frictions qui surviennent. Il y a toujours des surprises.
Il m’importe que l’articulation des deux images ne soit pas guidée par une mécanique établie à l’avance, mais qu’elle se mette en place d’elle-même, qu’elle produise sa propre grammaire au fil de l’élaboration du tableau. Celle-ci passe par une succession d’opérations : transfert, encollage, arrachage, grattage, surimpression. Tout l’enjeu est de créer les conditions pour que l’interaction entre les couches picturales soit non seulement optique – par le jeu des transparences -, mais également chimique – par un changement d’état de la matière. Le résultat tient plus de l’agglomération que de la superposition.
Il faut une part de jeu et de hasard pour permettre à des événements de surgir. Les accidents donnent lieu à l’apparition de détails porteurs de petites histoires : des structures, des ruptures, des fusions, des oblitérations. Lorsque la couche picturale se déchire, des voies s’ouvrent entre la surface et le fond, invitant le regard à circuler. Au gré des coïncidences et des disjonctions qui se produisent à leur point de contact, les deux motifs se précisent ou se brouillent mutuellement ; ils se confortent ou s’affaiblissent. Des couleurs redoublent d’intensité tandis que d’autres s’éteignent. Je cherche à obtenir une surface riche de ces paradoxes, de ces ambiguïtés, et de la fragilité induite par les manipulations successives.
Je peins à partir de choses vues (fragments de paysages, bribes de documents cartographiques, reproductions d’œuvres, illustrations). Ca et là, il se peut que des configurations familières apparaissent et « fassent image ». Je laisse à chacun le soin de nommer, de « résoudre » les interactions entre les formes enregistrées par la toile. L’expérience proposée est de l’ordre de l’exploration et du « démultiplexage ».